La croix de pierre et les trois sapins du bois Deveux

La croix de pierre et les trois sapins du bois Deveux

Récit de 1917:

La soirée du vingt-deux décembre mil neuf cent-seize fut marquée d’un crime horrible.

Un jeune homme de Vierset-Barse, Jean Sossois âgé de seize ans, apprenti bourrelier chez Monsieur Fernand Servais à Strée, venait d’être retrouvé au bois Deveux, la gorge littéralement tranchée.

C’était le malheureux père de ce pauvre enfant qui, à la recherche de son fils avec ses parents et amis, venait de faire cette lugubre découverte.

Le jeune homme qui avait quitté l’atelier vers trois heures de relevée, retournait à travers la prairie dite Ninglinchamps, avait vraisemblablement été attiré dans le bois Deveux par une ou plusieurs personnes de sa connaissance.

Revenant de Huy, vers la même heure où j’avais été appelé comme témoin, je rentrais à Strée par le chemin dit de « Messe ». J’avais remarqué deux rôdeurs se dirigeant vers le coin du bois et venant en sens inverse, en qui j’avais cru reconnaître deux jeunes gens des Trixhes.

Le samedi vingt-trois décembre vers quatre heures du matin, on vint m’avertir du terrible drame qui s’était déroulé dans un bois dépendant de mon gardiennat et en accompagnant sur les lieux la personne qui était venue me prévenir, j’acquis la conviction que les deux hommes que j’avais vus la veille devaient ne pas être étrangers à l’accomplissement de ce crime.

Le parquet de Huy qui avait été prévenu pendant la nuit, arriva sur les lieux vers 10 1/2 heures et se composait de Messieurs: Lhoneux, juge d’instruction; Michaëlis, procureur du Roi; Osslet, greffier, Calmeau, géomètre, de deux médecins légistes et d’un photographe.

Je me portai à la rencontre des magistrats et leur fis part de mes soupçons.

Monsieur le Procureur du Roi ordonna l’arrestation des deux individus dont l’un se trouvait parmi les curieux, le second venait de quitter l’endroit pour rentrer chez lui où il fut appréhendé.

Avant midi, c’était chose faite.

Incarcérés à Huy, ces deux hommes nièrent effrontément. Cependant, l’un d’eux F.T. dans un interrogatoire que lui fit subir Monsieur le Juge L’honneux en confrontation avec moi, le vingt-neuf décembre, à la prison, finit par reconnaître une partie des faits, mais rejeta tout le plus odieux du crime sur son co-accusé G. R..

Le cinq janvier, appelé de nouveau en confrontation, celui-ci avoua à son tour devant mes affirmations, avoir coopéré à ce forfait mais lui aussi se déchargea autant que possible sur son complice.

Cette affaire fut appelée devant le jury de la Province de Liège le neuf mai mil neuf cent dix-sept et le onze, il rendit un arrêt condamnant ces deux jeunes gens de dix-neuf ans, aux travaux forcés à perpétuité.

L’endroit où ce crime atroce a été commis est à présent marqué d’une croix de pierre érigée par le père de la malheureuse victime et avec assentiment de Monsieur le Baron Paul de Moffarts, propriétaire du bois Deveux. L’endroit où est planté le socle est précisément celui où le sang de ce pauvre jeune homme a coulé et où en présence de Monsieur le Procureur du Roi et de Monsieur le Juge d’instruction, j’ai pu constater qu’il avait pénétré à une profondeur de vingt-huit centimètres.

La croix est abritée de trois sapins que j’ai plantés en compagnie de mes fils Henri et Victor et de Monsieur Fernand Servais et cela le dix-neuf mai mil neuf cent dix-sept, jour où arrivèrent à strée les premiers réfugiés français, venant de Beaurevoir (Aisnes).

Cette croix, ces sapins diront aux générations futures tout l’odieux de ce crime horrible mais ils leur diront aussi de fuir le jeu*, car c’est cette funeste passion qui a conduit la victime à la tombe, comme c’est elle qui a mené les assassins aux travaux forcés.

 

Strée, le 1er juin 1917

Le garde particulier

Guill. Leclère.

  • Post-scriptum: Les bandits reconnurent avoir volé à leur victime les vingt-huit marks dont il était porteur, voulant se procurer de l’argent pour jouer dans les fêtes de Noël.